« À présent, Hervé sait qu’être là, en Bretagne, c’est être partout, que ce pays à nul autre second est une réplique du monde où, plus qu’ailleurs, la folie saisit le vif dans les tourneboulées du vent. »
Pierre Le Gall
La Procession s’est disloquée en pleine campagne, loin du village d’où nous sommes partis il y a quelques heures et vers lequel nous revenons. C’est dimanche au plein soleil de midi. Sur une route déserte du centre Bretagne, nous marchons côte à côte, Hervé Ronné, l’idéal compagnon et moi. Un homme précipitamment sorti sur le seuil d’un maison nous fait: « Hé! les photographes ! » Ce matin, nos écarts de conduite sans équivoque sur la place du bourg nous ont identifiés et l’hospitalité bretonne sait être irrésistible . Travaillés à la gentillesse , nous le suivons jusqu’au sous-sol ombreux de la demeure où festoie une joyeuse compagnie. Sans façon, on nous prie à boire et à partager le repas. Quand il m’arrive de penser à Hervé, ce sont des rencontres semblables à celle-ci qui me reviennent en mémoire comme autant d’émouvants et mystérieux retours vers un âge aboli où l’homme était encore jeune. Nous nous étions fait une spécialité de ces petits miracles imperceptibles à ceux qui n’ont que leurs yeux pour voir.
Hervé Ronné est de ces passants immédiats que réjouissent les facéties du hasard. Bon pied bon oeil, toujours sur le qui-vive, son Nikon porte un charme, saisissant au vol des éclats de vie à foison. Je l’observe: c’est sûr, il s’attache à sa personne des fugacités de vif-argent et de feu follet.
Je l’ai connu naguère habité par un appel d’aventure, comme suspendu au bord d’un rêve impossible de pays de sable et d’azur, où s’esquissaient de fabuleuses Mauritanies. À présent, Hervé sait qu’être là, en Bretagne, c’est être partout, que ce pays à nul autre second est une réplique du monde où, plus qu’ailleurs, la folie saisit le vif dans les tourneboulées du vent. Alors, photographier c’est immobiliser l’équilibre instable et lui faire dire sa part de vérité. Parler de « reportage » à propos du travail d’Hervé serait scandaleusement réducteur. Quand les images sur papier journal tressent grossièrement les ficelles usées d’une vieille balançoire, l’objectivité, le photographe libre oppose une vérité plus haute, incorrecte et sauvage, aux critiques à l’oeil plein d’ennui.
Hervé Ronné sait intuitivement tout cela. Ses images attestent de son appartenance au cercle restreint des voyants. Personnalité à l’humour espiègle, voué à une éternelle jeunesse par la grâce d’un regard qui pétille, il est de ces briseurs de soucis dont l’oeil ravive la mémoire des pays bleus de notre enfance.
Pierre Le Gall, Janvier 2016